Voici une première analyse du projet de loi instituant un système universel de retraite.
Nous avons retenu les points qui nous semblent les plus centraux à ce stade mais,
cette analyse est amenée à évoluer et à être affinée dans les jours qui viennent.
Carrières complètes / carrières hachées
L’une des questions principales que nous nous posons depuis le début de la mobilisation est de savoir combien de temps il faudra travailler et combien d’argent nous aurons une fois à la retraite. En réponse, le gouvernement a fait plusieurs propositions :
– une retraite garantie à 1000 euros pour une carrière complète ;
– et des points supplémentaires pour les personnes ayant subi des interruptions de carrière.
Bonne nouvelle ? Pas vraiment…
Qu’est-ce qu’une carrière complète ?
Le gouvernement se contredit : initialement, la possibilité de partir à la retraite ne devait dépendre
que du nombre de points acquis. Finalement, en plus de la condition de points, s’ajoute une condition de durée de cotisation.
Selon le projet de loi, on ne pourra pas partir à la retraite sans avoir travaillé 516 mois soit 43 ans, pour les personnes nées après le 1ER janvier 1975. Le projet prévoit que cette durée évoluera, tout comme l’âge d’équilibre, en fonction de l’espérance de vie, pour les générations « ultérieures », sans donner plus de précisions quant aux générations visées.
Une fois de plus, c’est le flou total. Une seule certitude : la durée de cotisation s’allongera à mesure
que les années passeront.
Quelles interruptions de carrière sont prises en compte ? Et comment sont-elles prises en compte ?
Des dispositions spécifiques sont prévues pour les personnes qui connaissent des périodes
d’interruption de carrière (maladie, maternité, paternité, invalidité, accident de travail, maladie
professionnelle, stage professionnel, allocation chômage, etc).
Actuellement, tout ou partie de ces périodes sont déjà prises en compte pour l’acquisition de droits à retraite, s’agissant de la durée de cotisation comme du calcul du montant des pensions. Le projet
gouvernemental ne permet donc pas de créer de nouveaux droits pour les travailleurs ayant eu des
carrières hachées.
Bien au contraire, cette mesure est potentiellement régressive ! En effet, il est prévu d’acquérir des
points supplémentaires pour ces périodes, mais on ne sait pas à combien de point on aura droit, ni
dans quelles conditions, le tout étant renvoyé à la publication de décrets.
C’est quoi la retraite minimum à 1000 euros ? Qui peut bénéficier du minimum retraite ?
Le gouvernement se glorifie, dans sa présentation des principes généraux de la loi, de prévoir une
retraite minimum à 1000 euros. Sauf que le projet de loi ne fixe jamais ce montant. Il se contente de
préciser que la retraite minimum consisterait en un pourcentage du SMIC qui sera fixé… par décret !
Cette fois encore, les incertitudes demeurent.
Non seulement, on ne sait pas réellement quels sera le montant de ce minimum. Mais, de plus, son
attribution est conditionnée à une durée de cotisation minimale de 43 ans (donc une carrière
complète). Pour ceux qui n’auraient pas atteint les 43 ans, le montant sera proratisé.
Le gouvernement promettait une retraite minimale de 1000 euros pour tous. Finalement ce ne sera
pas 1000 euros et ce sera seulement pour les carrières complètes. Si ceux qui ont eu une carrière
interrompue ne peuvent même pas toucher une pension à la hauteur du seuil de pauvreté, à quoi
doivent s’attendre les travailleurs précaires ?
Age d’équilibre
Le projet prévoit un départ avant 62 ans entraînera une décote, mais il faudra travailler au-delà de 64 ans pour pouvoir bénéficier d’une surcote.
Il existe déjà une forme d’âge d’équilibre aujourd’hui articulée autour de la décote (malus) et la surcote (bonus) ; ce qui amène d’ailleurs les français.e.s à partir à 63,4 ans en moyenne.
L’instauration d’un âge de référence dans le système à points obéit à une question budgétaire.
Dans le projet de loi l’âge d’équilibre est fixé à 64 ans. Mais cet âge n’est pas figé puisqu’il est prévu
qu’il puisse évoluer en fonction de deux paramètres : l’équilibre budgétaire des caisses à minimum à
zéro déficit et l’évolution de l’espérance de vie.
Les modulations à cette hausse pouvant être apportées par le conseil d’administration sont soumises
à la condition de l’équilibre financier du système de retraite, chaque modulation aura un impact sur
les autres aspects dit d’équilibre : âge légal, revalorisation des pensions, coefficient des décotes et
surcotes, valeurs du point, taux de cotisations, droits de solidarité, réserves financières.
Il y a plusieurs âges d’équilibre : les travailleurs bénéficiant de dispositifs de départ anticipé se voient
appliqués un « âge d’équilibre individualisé » qui sera fonction de l’âge légal auquel ils pourront
liquider leurs droits à retraite.
Pour les retraites anticipées pour carrières longues (RACL), l’arnaque est encore plus grossière : l’âge
de décote serait avancé de 2 années (60 ans), mais l’âge de surcote resterait celui de droit commun
(64 ans).
La pension de réversion fragilisée
Les pensions de réversion, dont les bénéficiaires sont à 90% des femmes seront modifiées sur
plusieurs points.
Aujourd’hui la réversion est accessible dès 55 ans dans le privé mais sans condition d’âge dans le public. Désormais, le projet de loi prévoit que les fonctionnaires soient eux aussi soumis à cette condition d’âge exceptés les fonctionnaires qui concourent à des missions publiques de sécurité (policiers, douaniers, militaires, contrôleur aérien).
Ce serait un recul pour une grande partie des fonctionnaires.
45% des mariages finissent par un divorce. Aujourd’hui, la pension de réversion est accessible après
un divorce. Dans le projet de loi, rien ne garantirait le maintien de la pension de réversion concernant les personnes divorcées. Il n’y a pas plus de précisions, le gouvernement indiquera les dispositions relatives aux divorcés dans une future ordonnance.
Aux dires de Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des retraites, il serait question que le juge établisse un solde « tout compte » au moment du divorce prenant en compte les points acquis à ce moment.
Le mode de calcul de la pension de réversion sera modifié. Aujourd’hui elle assure 50% de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier le conjoint décédé. Dans le projet de loi, il est prévu que la pension de réversion soit de 70% des points acquis de retraite par le couple. Cela entraînerait une baisse des pensions de réversion car le salaire des femmes est en moyenne plus faible que ceux des hommes (les femmes sont payées 26% de moins que les hommes), mécaniquement le calcul sur la moyenne du couple fera baisser le montant des pensions de réversion.
Et bien sûr, toujours pas d’élargissement de la réversion aux couples non mariés et au PACS, alors que certains régimes spéciaux le prévoyaient ! Le gouvernement ne prend donc aucune prise en compte de la réalité ou de l’évolution des structures familiales.
Gouvernance du système de retraite
La gouvernance du système universel repose sur 2 piliers : la caisse nationale de retraite universelle et le « comité d’expertise indépendant des retraites ».
Le texte prévoit que les administrateurs représentants les salariés au sein de cette caisse nationale
seront désignés par les organisations ayant recueilli une représentativité d’au moins 5%. Dans la
pratique, cela ferait rentrer l’UNSA dans la liste, mais pas Solidaires ni la FSU, alors que celles-ci sont
représentatives dans la fonction publique comme l’UNSA. On peut s’étonner de la création d’un
nouveau seuil à 5%, et du fait que rien n’indique que le poids de chacun soit pris en compte.
La représentativité patronale se ferait dans les conditions prévues par le code du travail. En pratique, en plus du MEDEF, la CPME, U2P, il y aurait des représentants des exploitants agricoles, des employeurs publics, ainsi que l’organisation des professions.
De nombreuses questions, à commencer par la composition précise du Conseil d’administration et
l’articulation des pouvoirs de celui-ci et du Directeur général, seront renvoyées à des ordonnances.
Il est également créé un comité d’experts indépendant, dont la composition ne donne aucune place
aux organisations syndicales et patronales. Ce comité d’experts fera, à la fois, des projections à 40 ans et à 5 ans.
Sur la base de ces projections, le Conseil d’administration aura l’obligation de présenter des comptes équilibrés, en jouant sur l’ensemble des paramètres existants, y compris l’âge d’ouverture du droit à la retraite et, bien entendu, « l’âge pivot ».
Notons qu’il pourra éventuellement proposer des hausses de cotisations (uniquement pour assurer
l’équilibre financier du système, pas pour améliorer les droits). Si le Conseil d’administration ne
présente pas de comptes avant le 30 juin ou que ceux-ci ne sont pas équilibrés, l’Etat pourra se
substituer à la caisse par voie de décret.
Ordonnances et décrets
Depuis le début, la CGT dénonce le flou qui entoure cette réforme. Ce gouvernement veut nous
imposer une réforme sans nous dire quand nous pourrons partir à la retraite et avec quel montant,
c’est un problème de taille en démocratie.
Si ce projet de loi confirme les intentions du gouvernement, nous faire travailler plus, baisser les retraites pour toutes et tous, le flou reste important. Le renvoi à des ordonnances et autres décrets
est omniprésent.